Sur une idée de Isabelle Toutain, les hypersensibles partage ici des témoignages de personnes hypersensibles qu’elle interviewe dans une rubrique dédiée « RENCONTRE AVEC… » Une série de rencontres autour de l’hypersensibilité, de femmes et d’hommes qui ont appris à l’apprivoiser pour en faire une ressource. Loin d’être une faiblesse, l’hypersensibilité peut être une force, capable de déplacer les montagnes. C’est justement parce que nous sommes hypersensibles que tout devient possible.
RENCONTRE AVEC Margaux MOTIN
illustratrice et autrice de bande dessinée
Quand et comment avez-vous découvert votre hypersensibilité?
Je ne me suis jamais posé la question. Sans doute parce que je n’ai jamais posé clairement le mot d’hypersensibilité sur ce que je suis. J’ai du mal avec les étiquettes. Ce qui est sûr c’est que je sais depuis que je suis ado que j’ai une sensibilité différente de celle des gens qui m’entourent. En fait j’ai tardivement commencé à me questionner dessus et à voir comment cette sensibilité hors normes pouvait devenir un atout.
Ce n’est qu’en 2012 que j’ai débuté un travail de développement personnel suite à un immense chagrin d’amour. Je ressentais la nécessité de changer certaines mauvaises habitudes que j’avais. C’est grâce à cette démarche, que j’ai appris à me connaître et à comprendre mes fonctionnements. Je pense que les gens qui se développent personnellement sont bien souvent des hypersensibles.
Et puis je suis en couple avec quelqu’un qui est sensible à toutes ces choses-là et il m’a dit : « tu as un univers particulier, une façon de voir particulière, ose plonger dans ton univers, ose comprendre qui tu es et ose exprimer ce que tu as à exprimer ».
Quels ont été les éléments fondateurs de ce cheminement vers soi?
Des gens, des thérapeutes, des livres m’ont accompagnée sur ce parcours de développement. J’ai lu beaucoup de livres pas forcément en entier. Il arrive toujours un moment où je sais pourquoi j’ai acheté ce livre et ce peut être juste pour un passage précis. Dans chaque livre, je cherche à chaque fois à tirer une clé qui vient rejoindre mon trousseau de clés personnel. Certains livres ont été fondateurs.
Le tout premier livre que j’ai lu dans ce parcours est Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estès. Ce livre m’a permis de comprendre que ma psyché était remplie d’archétypes qui peuvent m’accompagner et que je peux invoquer pour m’aider dans mon chemin.
Il y a eu aussi la rencontre avec Louise L. Hay, La force est en vous. C’est ma professeur de yoga qui me l’avait conseillé. Avec ce livre, j’ai trouvé l’autorisation d’être moi-même. Je me suis rendue compte que j’avais été tout ce temps-là ce qu’on attendait de moi et que c’était pour ça que je n’étais pas bien. Et que oui c’était possible d’aller à la rencontre de moi-même et d’être moi-même.
Et puis les Quatre accords toltèques de Don Miguel Ruiz. J’ai un côté très maniaque. J’aime quand c’est expliqué sous forme de règles simples comme celles énoncées dans ce livre.
Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même de Lise Bourbeau m’a bouleversée. On l’a lu tous les deux avec mon compagnon. C’est le premier livre qui nous a aidé à avancer ensemble. Il nous a permis de comprendre ce qui se jouait dans notre relation et les blessures qu’on activait l’un chez l’autre. On a compris que ce qui ne fonctionnait pas entre nous appartenait à nos histoires personnelles qu’on ramenait dans notre couple et qui n’avaient pas lieu d’être. Et oui on peut prendre un peu de recul en se disant : « Tiens, c’est ma blessure d’abandon qui s’exprime, ce n’est pas lui qui m’abandonne ».
Le guide du lightworker d’Isabelle Cerf, j’ai adoré. C’est un gros grimoire de magie personnelle avec un travail sur soi beaucoup plus poétique et plus dans l’imaginaire que les livres de développement personnel habituels. En fonction d’informations plus intuitives, on peut découvrir quel type de mission de vie on a, nos chackras qui sont développés ou pas, comment travailler avec notre intuition.
Lune rouge de Miranda Gray m’a aidée à mieux comprendre les cycles féminins et les archétypes. Quand on est hypersensible, on peut être plus sujette que les autres aux fluctuations hormonales. Les comprendre, cela permet de ne plus être victime de son cycle et de s’approprier son propre fonctionnement.
Comment se manifeste votre hypersensibilité?
J’ai un imaginaire très développé. Un regard qui se pose sur des détails que personne d’autre ne voit. J’ai aussi une rapidité à être dans le flow. Tout d’un coup, je peux ne plus du tout écouter une conversation parce que je regarde une goutte d’eau qui hésite à tomber d’une branche et qui m’emmène très loin dans mon imaginaire. J’ai un lien très fort avec le monde imaginaire, avec la poésie, un regard sur les choses et les gens qui n’est pas celui de la conversation ordinaire.
Quand je déplace un escargot, je peux passer trente minutes à me demander si je ne l’ai pas éloigné du chemin de l’école et que sa maman ne va jamais le retrouver. Je transcende ce moment en en faisant des histoires. Je peux les évacuer en en faisant des histoires parce que je suis artiste. Et dans la vraie vie, je prends sur moi de ne pas ressasser pour savoir si j’ai bien fait et je lui dis juste : « Frère, j’espère que tu es sur le bon chemin ». C’est un mélange d’hyper-pragmatique et d’hyper-poétique. C’est en harmonisant les deux que je peux retrouver du calme et de la tranquillité.
J’ai une très grande sensibilité aux stimuli internes c’est à dire tout ce qui vient de mon monde intérieur et qui se manifeste sous forme de voix intérieures. J’ai une conversation interne très présente et tout le temps. Je suis souvent d’ailleurs dans un processus de jugement qui se manifeste avec ces petites voix intérieures. Certaines fois, c’est l’enfant intérieur qui parle, d’autre fois l’ado rebelle, ou encore une vieille dame sage. La thérapeute shiatsu qui me suit chaque mois m’a expliqué qu’il y a des parts de soi qui se manifestent et réagissent en fonction des situations auxquelles on est confronté. J’ai toute une équipe dessinée de toutes ces parts de moi sur mon iPad. Ca m’aide à les identifier et c’est une façon d’en faire un geste créatif. J’essaye d’entendre parmi ces parts de moi-même ce dont j’ai vraiment envie et ce qui va me faire du bien. Cela me permet d’être à l’écoute de mon élan. Parce que je peux avoir tendance à m’emprisonner dans des obligations. Si je me suis enfermée dans une routine, elle peut devenir une contrainte et je me juge quand je ne le fais pas. C’est comme si je rentrais dans un auto piège et ça ne sert à rien du tout.
Et j’ai aussi une grande sensibilité aux stimuli externes. Je suis sensible au désordre, aux bruits, à une lumière trop vive, à tout ce qui peut générer un inconfort physique. Et même les matières. Je déteste la laine qui pique depuis que je suis enfant. Je suis aussi asthmatique, allergique, je fais de l’eczéma, des crises d’angoisse… Je mets ces manifestations dans l’hypersensibilité dans le sens où je suis très réactive.
Mon désir est de calmer tout cela car c’est une source d’angoisse quotidienne et de stress, pas du tout constructive pour moi. Je fais en sorte de les réduire, de les traiter et de les équilibrer.
Les outils, les clés qui vous permettent d’apprivoiser votre hypersensibilité au quotidien?
Chaque jour je fais du sport ou en tous cas au moins cinq jours sur sept. Que ce soit du yoga, du vélo, de la marche, de la musculation et de la natation en été, j’y consacre entre trente minutes et une heure. Cette pratique me permet de me connecter à mon corps. Comme je suis très imaginative et dans mon monde intérieur, j’ai besoin de me ramener à ma corporalité. C’est mon ancrage. Si je n’ai pas cette évacuation c’est très compliqué.
En ce moment, je fais du vélo d’appartement en regardant des séries. Cela me fait beaucoup de bien et me vide la tête.
J’utilise aussi des techniques de yoga, de méditation et de respiration pour calmer mon système nerveux qui a tendance à s’emballer.
Je mets un casque anti bruit avec de la musique et des bruits blancs. En fait, j’ai recours à tout ce qui peut m’aider à baisser mon niveau réactif sensoriel. Quand la lumière est trop forte pour moi, je n’hésite pas à sortir avec des lunettes de soleil.
J’écris aussi beaucoup, presque tous les jours. Je tiens des journaux. Je ne suis pas victime de ce qui se manifeste. J’observe, je questionne et j’investigue pour en comprendre le sens. Quand j’ai une allergie par exemple, j’investigue pour comprendre. C’est une façon de ne pas être une victime et de prendre le pouvoir sur ce que je ressens.
L’hypersensibilité peut aussi servir d’excuse pour faire ce qu’on veut. Je suis hypersensible donc accepte-moi comme je suis. Je n’ai pas envie que ce soit une excuse. Ceci dit c’est dur d’être responsable de soi et d’observer ses aspects les moins glorieux. Chaque jour, j’essaye de m’observer et de progresser.
Je suis aussi très soutenue par mon compagnon qui est extrêmement sensible et curieux des différentes techniques de connaissance de soi. On s’aide beaucoup à cheminer. On se partage des outils et c’est important de pouvoir en parler et de ne pas rester dans sa bulle. Il sait quand je suis dans ma vérité ou quand j’active des trucs qui sont pas bons pour moi. On avance main dans la main.
Vos plus grandes fiertés d’hypersensible?
Ce n’est pas mon hypersensibilité, c’est la somme de ce que je suis entièrement qui fait que je peux me sentir fière. A partir du moment où je suis rentrée en état de développement personnel en 2012, j’ai décidé de croître, de m’épanouir, de me déployer et de développer des qualités et des savoir-faire dans le but de me sentir mieux avec moi-même et mieux avec les autres. Chaque fois que je réussis quelque chose, que je me libère d’un truc, que je comprends quelque chose de nouveau, je suis hyper contente. De fait, c’est presque chaque semaine que je relève un défi.
Si en tant que maman, j’ai quelque chose à gérer avec ma fille et que je vois que cela soulève des questions qui me bouleversent parce que cela touche quelque chose dans mon lien avec mes parents. Lorsque j’arrive à voir ce qui est en jeu et à entrer en maturité pour être un bon parent soutenant avec elle, je suis hyper fière.
Il y a deux jours ma victoire, c’était aussi d’accepter que c’était une journée où j’avais profondément envie de me rouler en boule sous un plaid avec un bon bouquin et de ne pas travailler. Je me suis fait violence pour accepter de poser mon crayon. Je me suis dit : « Expérimente ce que ça fait de lâcher ». Ce qui n’est pas du tout évident pour moi. J’étais hyper fière d’avoir tenu jusqu’à midi.
En fait, je me dis que ces victoires sont reliées à mon hypersensibilité et à cette façon particulière que j’ai de concevoir le monde.
3 conseils aux hypersensibles
- Entourez-vous bien. Ne faites pas le chemin tout.e seul.e. Il n’y a aucune fierté à être indépendant.e et autonome. C’est important de trouver les bons amis, les bons thérapeutes, le bon compagnon. Ne vous repliez pas tout seul dans votre imaginaire.
- Créez. Ayez un geste créatif. Je suis sûre que toutes les personnes hypersensibles que j’ai rencontrées ont un élan créatif quelqu’il soit. Dansez, chantez, faites de la pâte à modeler, faites des bijoux avec des plumes, peignez sur des feuilles à l’automne… Moi, je peins des cailloux. Cela me fait du bien et personne ne m’attend là. C’est juste un geste pour soi. C’est un moment où on est connecté avec soi, avec le vivant, avec l’instant. S’autoriser un geste créatif de temps en temps, cela équilibre et fait du bien à nos âmes d’hypersensibles.
- Acceptez que la vie est aussi terrible que magnifique. Arrêter d’écouter la voix Disney qui pense que tout est magique et féerique et accepter la voix du vivant qui dit que tout naît, croît et meurt tout le temps. Je n’avais pas envie de voir la cruauté, la violence et pourtant cela fait partie de la dualité de l’existence. La maman oiseau jette son petit du nid quand il n’est pas viable et cela ne m’empêche pas d’essayer de le sauver. Lorsque je me sens débordée par mes émotions, je fais appel au bon sens paysan, terre à terre, je me dis « cela fait partie de la vie, point ». C’est important d’accepter que cet aspect existe pour ensuite décider de nous concentrer sur ce qui est beau et nous fait du bien.
Extraits choisis
Tu as un univers particulier, une façon de voir particulière, ose plonger dans ton univers, ose comprendre qui tu es et ose exprimer ce que tu as à exprimer.
Je me suis rendue compte que j’avais été tout ce temps-là ce qu’on attendait de moi et que c’était pour ça que je n’étais pas bien.
Je ne suis pas victime de ce qui se manifeste. J’observe, je questionne et j’investigue pour en comprendre le sens.
Comme je suis très imaginative et dans mon monde intérieur, j’ai besoin de me ramener à ma corporalité. C’est mon ancrage.
Quand on est hypersensible, on peut être plus sujette que les autres aux fluctuations hormonales. Les comprendre, cela permet de ne plus être victime de son cycle et de s’approprier son propre fonctionnement.
L’hypersensibilité peut aussi servir d’excuse pour faire ce qu’on veut. Je suis hypersensible donc accepte-moi comme je suis. Je n’ai pas envie que ce soit une excuse.
Propos recueillis par Isabelle Toutain @isatoutain
Crédit photo Studio Marie B @studiomarieb
L’actualité de Margaux Motin
Sept ans après La Tectonique des plaques, Margaux Motin publie Le printemps suivant. Elle reprend avec humour et émotion le fil du récit de son parcours de femme toujours en quête d’épanouissement personnel et de connaissance de soi.
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